Mots par Simon Ruel
Alexi Godbout: Prises de vue et prise de risque
Dix ans de films par Blank Collective, qui couronnent une prolifique carrière en freeski.
En 2015, après des années de compétition en freeski dans les parcs à neige du monde entier, Alexi Godbout se demande ce que sera la suite. Il évoque l’idée de devenir guide de montagne quand Salomon lui parle de son « plan de cinq ans ». Mais il n’y a pas vraiment de plan. Et c’est très bien ainsi.
Parce qu’après l’avoir rencontré cet été, on comprend qu’au travail comme dans la vie, Alexi Godbout fonctionne avec souplesse, et sait flairer les belles conditions – qu’elles soient météorologiques ou professionnelles.
Un one-man show, sans égo
« Au cinéma, les rôles sont précis, mais dans le monde des films de sport, il y a beaucoup de one-man shows. Producteur, vidéaste, réalisateur… Je ne sais pas vraiment quel titre me donner. » Alexi nous parle de chez lui à Squamish, où il est en train de monter le prochain film de Blank Collective, la maison de production qu’il a cofondée, et dans lequel il skie, bien sûr. Est-ce que c’est difficile de se détacher de ses propres performances au montage? « Il ne faut pas avoir d’égo par rapport à son matériel. Tu veux faire le meilleur film possible. S’il faut que tu coupes tes shots, c’est ça qui est ça. »
« Je regarde des films de ski depuis que j’ai huit ans. Le premier VHS que j’ai eu, je l’ai tellement regardé que la cassette ne fonctionnait plus. » C’était 13, de Poor Boyz Productions. À l’époque, il sautait tous les passages de backcountry - seul le parc l’intéressait. Autour de la mi-vingtaine, c’est l’inverse : il dévore tout ce qui vient de l’arrière-pays. Quand les blessures le mettent finalement à l’écart de la compétition en 2015, son regard se tourne naturellement vers l’Ouest. Coup de chance ou signe du destin, Jeff Thomas, ancien collaborateur des Poor Boyz, devenu un ami, vient d’acheter une maison en Colombie-Britannique. Il a une chambre à louer.
L’année suivante, avec un peu de financement de Salomon, Alexi et sa gang décident de produire leur propre film. Ce sera Canvas, suivi en 2017 par Bearings. En 2018, Alexi commence à apprendre l’art du montage auprès de Jeff Thomas, qui agit comme mentor pendant plusieurs années. Leur collaboration donnera naissance à plusieurs projets, dont Tales from Cascadia, sacré film de ski de l’année par IF3 en 2021. Éventuellement, Jeff quitte pour travailler à d’autres projets. « En 2023, c’était la première fois que j’étais laissé à moi-même, et honnêtement j’avais la chienne pas mal », dit-il. « Jeff avait beaucoup plus d’expérience que moi, et j’ai dû apprendre à me faire confiance sur le plan créatif. » Blank Collective a maintenant une dizaine de films à son actif.
Un film pris en otage
Le premier film de Blank Collective, paru en 2016, a bien failli ne jamais voir le jour. Fin de saison, Yukon: Alexi et son équipe sont à Whitehorse pour récupérer leur VR et vont déjeuner au resto. À leur retour, le cameraman cherche son sac à dos. Il a disparu. À l’intérieur : tout le matériel vidéo de l’année sur des disques durs, sans aucune sauvegarde.
Des flyers sont imprimés, distribués partout en ville. On offre une rançon, sans grand espoir. Mais le téléphone finit par sonner. Rendez-vous dans un bar en fin de journée. Ça se passe comme dans les films. La moitié de l’argent change de mains pour vérifier le contenu du sac, puis le total est payé et tout le monde repart de son côté. Il y aura bien un premier film de Blank Collective - et de multiples sauvegardes dans le futur.
La logistique de l’arrière-pays
Dans les films de Blank, les skieurs ont presque toujours un sac à dos. Pas de remontées mécaniques ici : c’est l’arrière-pays. La logistique varie selon le lieu et le projet. « Il y a des voyages où on est dans un chalet et on fait juste du touring. Au Japon, on se promène en van, et quand on arrive à un point intéressant, on met les peaux sur nos skis et on part. » À la maison ou en Alaska, le ski de rando vient souvent compléter des trajets en motoneige. L’équipement vidéo est donc réduit au strict minimum : « C’est sûr qu’on ne va pas amener cinq lentilles et deux drones. »
Il faut aussi penser à la sécurité. Blank a besoin de gens capables non seulement de filmer, mais aussi de se débrouiller en terrain alpin, avec des compétences en sauvetage et premiers soins. « Cette année, on avait des skieurs plus jeunes, donc j’ai cherché à engager du monde avec plus d’expérience en montagne. Les risques sont réels. »
Né sur la montagne
Alexi Godbout est encore aujourd’hui un athlète Salomon, après avoir signé son premier contrat avec la marque à l’âge de 14 ans. Cette année-là, il remporte des compétitions provinciales contre des athlètes beaucoup plus âgés. Sa mère, complice, ajoute un an ou deux à son âge dans les formulaires pour le rendre admissible.
Ses deux parents sont des professionnels de l’industrie, d’ailleurs son père était déjà avec Salomon avant lui, en sa qualité d’instructeur de ski à Mont-Tremblant. Il dit qu’Alexi a eu sa crise d’adolescence de 0 à 14 ans. « J’étais un petit crisse, mais quand j’ai commencé à voyager avec du monde plus vieux que moi, je me suis fait remettre à ma place assez rapidement. »
Sa carrière est ponctuée de nombreux événements de renom – X Games, Dew Tour... – mais aussi de blessures aux genoux à 16, 20, 22 et 24 ans. Après la quatrième, il n'est qualifié pour aucune compétition, comme il a passé l’année précédente à récupérer. À l’invitation du légendaire freeskier Mike Douglas, il se rend à un tournage dans les montagnes Monashee, dans l’arrière-pays de la Colombie-Britannique. C’est l’illumination.
Prises de vue et prise de risque
« Mes risques sont plus calculés qu’avant. » En compétition, tout est imposé : date, lieu, météo. Aujourd’hui, Alexi a davantage de latitude pour décider de ce qui est raisonnable de tenter, où et quand : « Ça m’a beaucoup aidé, surtout mentalement, à me sentir capable de skier encore longtemps. » Est-ce qu’il y a de la pression à tenter des manœuvres périlleuses pour les films? Sa réponse est nuancée : « Aujourd’hui, je peux skier des choses que je n’aurais pas considérées il y a dix ans, parce que mon expérience m’ouvre plus de portes. » Il constate quand même que d’autres - jeunes et moins jeunes - osent des trucs terrifiants. Et ça tombe bien : c’est aussi son travail de les engager.
C’est vrai dans tous les sports : les innovations d’une génération représentent la normalité de la suivante, qui va naturellement plus loin. On lui demande s’il est fier de voir une nouvelle vague de skieurs construire sur les fondations que la sienne a érigées : « J’hésite à dire fier parce que j’ai l’impression que ça vient de l’égo, mais s’il y a une chose à laquelle je pense avec fierté, c’est plutôt de faire partie de l’histoire du freeski, d’avoir ma petite place dans tout ça. »
L’avenir de Blank Collective
Cette année, Alexi travaille sur deux projets. Cold Calls, le prochain Blank Collective, est presque terminé. Le deuxième est un court documentaire sur Bernt Marius Rørstad, un skieur norvégien amputé d’une partie de la jambe droite, qui continue de descendre les plus hautes montagnes avec détermination. Le segment final de Cold Calls lui est aussi consacré.
Le projet est une initiative personnelle d’Alexi, qui souhaite que Blank évolue pour permettre la création de plus d’un film par année, avec des formats variés. Pas de plan précis pour l’instant - mais ce serait presque inquiétant s’il y en avait un…
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