Le 20 mars dernier, Caroline Côté et Vincent Colliard ont entrepris la première traversée sans assistance du Spitzberg, le plus grand glacier de Norvège. Un périple de 1100 km en 63 jours sous des températures frisant les -45°C. Découvrez leur film, et plongez dans les coulisses d’une épopée givrée.

Adolescent, Vincent Colliard se plonge avec passion dans les récits des explorateurs qui s’aventurent dans l’inconnu. Il devient petit à petit fasciné par le courage et la résilience de ces gens hors du commun. Son enfance à Biarritz lui fait connaître les Pyrénées et l’océan Atlantique, mais il lui manque quelque chose—la banquise.

Près de quinze ans plus tard, en Antarctique, il rencontre Caroline Côté, ultramarathonienne et avide de nature. « Je guidais un groupe de skieurs à travers la péninsule, et Caroline travaillait à la réalisation d’un film », indique Vincent. Au départ, on ne savait pas si Caroline allait ou non venir, puisque le groupe voulait un guide supplémentaire plutôt qu’une réalisatrice. Vincent a demandé à Caroline si le rôle de guide lui plairait, et elle a accepté.

Elle, une ultramarathonienne et lui, un explorateur polaire. Un duo qui est rapidement devenu irrésistible.

Leur dernière expédition s’est déroulée au Svalbard, l’endroit qui a confirmé la passion de Vincent pour les explorations polaires. Le couple voulait tenter ce qui n’avait jamais été fait auparavant: la traversée complète du nord au sud de Spitzberg, l’île principale.

« Pour nous, c’était vraiment important de partir sans utiliser de véhicules motorisés, soutient Vincent. Nous sommes partis de Longyearbyen, au nord, et nous avons skié jusqu’à l’extrémité nord de l’île, avant de partir en ski vers le sud. Puis en sens inverse: de l’extrémité sud jusqu’à Longyearbyen. » Un périple de plus de 1100 kilomètres en 63 jours. Pendant toute la durée de l’expédition, ils ne reçoivent aucune aide du monde extérieur. Ils font avec les moyens du bord: plus de 70 jours de nourriture et de combustible, et 300 kilos au total sur leurs traîneaux.

Pourquoi était-ce si important d’effectuer la traversée sans assistance?

Les récits d’aventures que je lisais quand j’étais ado montraient des explorateurs qui quittaient la maison avec tout ce qu’ils emportaient. C’est l’essence même de l’exploration. La satisfaction de partir sans soutien est très différente de celle d’être ravitaillé en cours de route. Ça rend les choses hautement plus intéressantes, et ça fait grandir en tant que personne.  

À quoi ressemblait la vie quotidienne dans un environnement aussi hostile?

Nous avions une routine assez simple: tous les jours, on skie, on mange, on dort, et on recommence. Pendant une journée de ski, on prenait une pause toutes les heures et quinze minutes pour boire et manger. En soirée, on montait la tente, on faisait fondre de la neige, et on essayait de se réchauffer.


Quand la météo devenait trop pénible, nous devions enlever la neige qui s’était accumulée sur nos bottes et nos vêtements. Parfois, on passait plus d’une heure à gratter l’intérieur de nos chaussures. C’est très important de s’en occuper tous les jours; sinon, la glace s’accumule, et c’est le désastre.

À quel point faisait-il froid? Quelles étaient les mesures moyennes pour le vent et la neige? 

Lorsque la pression atmosphérique était haute, on enregistrait des températures avoisinant les -38°C. Pendant la nuit, on tombait plus bas que -40°C. Lors des matins les plus froids, nous attendions tous les deux que l’alarme sonne afin de partir le brûleur le plus rapidement possible. Ces températures sont dangereuses pour le visage, les doigts, et toutes les parties du corps qui sont exposées. 

Le vent soufflait très fort, plus fort que 30 m/s sous des températures tournant autour de -25°C. Cela équivaut à des vents d’environ 60 nœuds, plus forts que 120 km/h.

Qu’est-ce qui se passait dans votre tête, à ce moment-là? Comment faisiez-vous pour rester motivés?

Premièrement, si nous faisons ce genre d’expéditions, c’est parce qu’elles nous rendent heureux. La vie moderne, si elle est plus facile, est de plus en plus complexe. Vivre dans une tente, allumer un brûleur, boire un café avec quelqu’un que vous appréciez—ce sont des choses toutes simples. Et nous n'apportons pas grand-chose.

C’est un retour à une vie plus simple, qui est à mon avis beaucoup plus riche. Il faut survivre avec les seuls outils qui se trouvent dans votre traîneau. Il y a aussi quelque chose d’attirant à sortir à ce point de votre zone de confort; c’est là même que vous apprenez qui vous êtes réellement. Survivre à une aventure comme celle-ci nous permet de nous rendre compte de ce qui compte dans la vie. On est reconnaissants d’être en bonne santé, et on profite de l’occasion pour réaliser nos rêves.

Effectuer la toute première traversée hivernale du Spitzberg m’a aussi grandement motivé, évidemment!

Tes plus beaux souvenirs du périple?

Il y en a plusieurs. La fois où nous avons skié à côté d’un ours polaire me vient en tête. Nous nous trouvions sur un fjord gelé, à la mi-février, et il se dirigeait vers le nord alors que nous allions vers le sud. Au milieu du fjord, il s’est arrêté et il nous a vu. Nous étions préparés, avec un fusil et une fusée de signalisation, mais ce moment effrayant s’est subitement transformé en un moment magique. Nous n’avons pas fui: nous savions que nous devions rester fermes, même si notre cœur battait à cent mille à l’heure!

Et l’un des moments les plus difficiles? 

Un jour, après avoir descendu une calotte glaciaire, nous avions monté la tente et nous étions très fatigués. Nous avons appelé notre ami à Oslo, qui nous a dit qu’il y avait un fort coup de vent qui s’en venait dans notre direction, et que nous devions nous abriter entre les montagnes. Il était près de minuit, mais il a fallu démonter la tente, partir et skier toute la nuit jusqu’à 6h du matin. C’était aussi difficile que magique. Nous étions là tous les deux, un couple qui skie dans les profondeurs de l’Arctique, avec les aurores boréales qui dansent au-dessus de nos têtes.

Avez-vous déjà pensé que vous n’y arriveriez pas?

Nous devions absolument atteindre la pointe sud du Spitzberg avant le 21 mars pour que ce soit la première traversée hivernale. Il a fallu se démener, dans le sud, afin d’y arriver. Le 20 mars, le vent était si fort que Caroline ne pouvait même pas se tenir debout. Nous n’étions vraiment pas certains de réussir. À un moment, nous étions assis sur nos traîneaux, et le vent ne faisait que nous pousser. Puis, il s’est calmé, et nous avons réussi à rejoindre l’extrémité sud une journée avant le début du printemps!

La série documentaire en 8 parties Le dernier glacier est offerte dès le 12 octobre 2021.
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