Zone d'inconfort: expédition solo en Antarctique

Caroline Côté est une cinéaste et photographe d'aventure vivant à Montréal. Elle se passionne pour la création de documentaires dans les conditions les plus extrêmes, et pour l'exploration de régions froides et sauvages.

Zone d'inconfort: expédition solo en Antarctique

Rédaction par Simon Ruel, rédacteur chez Altitude Sports.
Traduction: Jodi Mandelcorn

Zone d'inconfort: expédition solo en Antarctique

« Il n’y a pas beaucoup d’endroits comme l’Antarctique, où on peut aller tout donner pour ne presque rien recevoir, sinon la chance d’y être et d’exister. »

Entre la mi-décembre 2022 et la mi-janvier de cette année, la cinéaste et aventurière Caroline Côté a franchi en ski les 1330 kilomètres qui séparent Hercules Inlet du pôle Sud, campant toute les nuits et tirant tout son équipement dans un traîneau: Elle aura finalement retranché cinq jours au record féminin qui tenait depuis 2016, avec un temps de 33 jours, deux heures et 53 minutes. Toutefois, avec une passion sans égo pour l’exploration, elle le dit candidement: elle espère que son record soit battu. Nous avons eu la chance de discuter avec elle de son expérience.

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De retour dans la ‘vie normale’, Caroline Côté nous parle depuis son appartement montréalais. Cette vie normale, elle va vite, et elle est pleine de stimulations pour l’exploratrice qui a passé un mois seule avec ses pensées dans un désert de neige. Sous la lueur incessante du soleil, elle a eu le temps de réfléchir, et de «travailler sur elle-même», pour reprendre ses mots. Durant une telle expédition, l’effort physique est intense et soutenu, mais il y a de l’espace pour l’introspection. On ne réintègre pas son quotidien sans un certain stress, mais il est positif: il s’agit de «faire attention à son énergie, et de l’utiliser avec intention, de manière constructive». 

C’est il y a un peu plus d’un an que Caroline entend l’appel du record: il semble être à sa portée; sa détentrice est une de ses inspirations; et elle rêve de retourner en Antarctique depuis son premier passage en 2014. Aussi, il lui faut un objectif qui la mette au défi. En fait, elle ne comprend pas les gens qui complètent ce trajet de plus de mille kilomètres autrement: «Là-bas, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. C'est un endroit majestueux de dénuement, de pureté.»

Donc, après s’y être préparée avec son équipe toute l’année, pendant 33 matinées de suite, elle s’extirpe de sa tente dans un froid glacial, et skie kilomètre sur kilomètre. De son propre aveu, c’est la première expédition où elle ‘coure’ autant. Chaque jour, le temps à battre dans son viseur, elle pense même à ses futures compétitrices. Chaque heure où elle avance en est une de moins entre elle et le record, et une de plus entre son temps et les consœurs qui s’y attaqueront. Toujours est-il qu’une fois la moitié de la distance franchie, elle comprend que ses chances sont bonnes. 

Mais alors qu’elle estimait que la deuxième portion du trajet pourrait être la plus rapide, comme le terrain y est techniquement moins exigeant, les efforts gigantesques des semaines précédentes la rattrapent, et le mercure chute drastiquement. Elle aura puisé creux dans ses réserves d’énergie et de courage pour se rendre au bout des derniers jours, particulièrement longs et difficiles. 

Elle précise, toutefois: «Ça ne m’aurait pas dérangé d’échouer, sachant que j’ai donné mon maximum. Il y avait tellement de chances que je ne réussisse pas.» Et d’adversité à affronter, à commencer par la température. Autour des moins 15 degrés la première semaine, le mercure avoisine les moins 35 à la fin du périple, sans le vent. En plus, le trajet monte graduellement du début à la fin, pour une arrivée à quelque 2800 mètres d’altitude. Et ce n’est pas comme si les températures polaires l’enchantaient: «En ville, je suis celle qui gèle en se rendant au métro! Mais quand on a pas le choix, avec les bons vêtements, ça devient un autre mode de vie, et c’est ça que j’aime, je pense. J’aime aller explorer ma zone d’inconfort.» 

Un autre défi, particulier à une expédition vers le pôle Sud pendant l’été austral, c’est qu’il fait clair 24 heures par jour, sept jours par semaine. Imaginez une journée d’hiver sans nuages, quand la neige immaculée reflète la lumière du soleil de midi. Imaginez que ça ne s’arrête pas pendant un mois. Imaginez essayer de dormir. Dans une tente. C’est une réalité éprouvante pour l’organisme, et on a inévitablement de la difficulté à récupérer. Mais bon, il y a aussi des avantages: le soleil, c’est rassurant, nous dit l’exploratrice, et c’est pratique pour faire sécher l’équipement… 

Cette histoire en est une, entre autres choses, de détermination. Lors d’une expédition d’une telle envergure, il est inévitable de vivre de la peur. Caroline Côté ne s’en cache pas: si elle arrivait généralement à la gérer, par moments elle s’en trouvait paralysée. Une des choses qui l’effraient le plus, c’est vivre de grands chocs émotifs à répétition. La peur de ne plus arriver à les supporter, de ne pas se relever du prochain, c’est souvent ce qui met un terme à une expédition. Mais la peur va et vient. Il y a la peur de mourir, certes, mais il y a aussi celle de ne pas y arriver, de ne pas aller au bout de soi-même. Pour certaines personnes, la deuxième est pire que la première. 

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