Rédaction par Simon Ruel, rédacteur chez Altitude Sports.
Traduction: Reilly Doucet
Uapapunan: dans l'œil du Québec
À l’automne 2021, alors qu’ils participent au Marathon des Sables dans la chaleur étouffante du désert du Sahara, Mathieu Blanchard et Loury Lag rêvent de froid et de neige, pour s’échapper des conditions extrêmes dans lesquelles ils évoluent. C’est dans ce climat aux antipodes de l’hiver québécois qu’ils conçoivent le projet de traverser un environnement tout aussi hostile: l'œil du Québec, près de Baie-Comeau, sur la Côte-Nord.
Presque un an après, nous nous sommes entretenus avec les deux compères pour faire le point sur leur aventure de l’hiver dernier. Voyez leurs choix et conseils en matière d’équipement dans la vidéo ci-bas, et poursuivez votre lecture pour leurs impressions sur leur périple nordique.
L'œil du Québec est un astroblème, soit la trace laissée par l’impact d’une grosse météorite, dans ce cas-ci il y a 214 millions d’années. Le cratère est devenu le berceau d’un écosystème unique, recelant divers types de végétations, dont une grande partie est maintenant submergée par le réservoir Manicouagan. C’est sur ce lac gelé, formé par la construction du barrage hydroélectrique Daniel-Johnson dans les années 1960, que les aventuriers ont complété une boucle de quelque 240 km, au plus fort de l’hiver 2022.
À la recherche d’une aventure hivernale, on peut dire qu’ils ont été servis: pour parcourir des centaines de kilomètres sur la surface d’un lac gelé, le mois de février est le moment idéal, pour que la glace soit suffisamment épaisse et le froid assez constant. Ils auront mis dix jours à compléter le trajet, ce qui était plus ou moins ce qu’ils avaient prévu. L’estimation était critique, comme il faut prévoir les réserves de nourriture et de combustible en conséquence. Pas évident, surtout compte tenu du peu de personnes qui s’y sont risquées avant eux.
Vous l’aurez compris, Mathieu et Loury sont des athlètes de haut niveau, respectivement coureur d’ultra-trail et explorateur. La préparation physique pour une telle entreprise fait partie de leur quotidien depuis longtemps. Ce qui est particulier, dans un climat pareil, c’est l’aspect technique de la survie en nature. Le thème du partage revient souvent quand les gars parlent des dix jours qu’ils ont passés ensemble dans le froid, et ils savaient que Loury devrait en montrer pas mal à Mathieu, en matière de grande expédition. Et il y a beaucoup à apprendre: monter une tente avec des mitaines, au vent; allumer un brûleur dans le froid et les bourrasques; réparer du matériel et soigner des blessures…
Cela dit, ce sont ces émotions fortes qui attirent des personnes comme eux dans ce genre de projet. Ça, et les leçons qu’on en tire. Les deux aventuriers décrivent une sensation spéciale, évoquent la dimension particulière que prennent les évènements. L’expérience est d’autant plus particulière qu’elle nécessite organisation et rigueur, ainsi qu’une vigilance de tous les instants. Les sens sont aux aguets, et on vit quelque chose de réellement grandiose. On apprend à voir les détails, et on se rend compte que comme dans le désert, le décor est très diversifié: vaguelettes de neige, crêtes de compression, glace fissurée, et des îles qui surgissent au loin.
Mais comment composer avec la peur? Après tout, ce n’est pas une randonnée tranquille du dimanche après-midi, et le danger est bien réel. Mathieu et Loury relativisent, abondant dans le même sens: la peur, ça fait partie du métier. On peut s’en servir, comme on peut la faire évoluer et la dompter. C’est en quelque sorte un guide, dans la prise de risque. Toujours est-il que pendant une aventure de cette ampleur, on n’en reste pas au plan philosophique: les frayeurs sont concrètes. Imaginez-vous par exemple essayer de dormir par trente degrés sous zéro, et vous réveiller au son de la glace qui craque sous votre tente. Parce que c’est exactement ce que les gars ont vécu, isolés comme ils l’étaient dans l’infini de la nuit polaire. On frissonne juste à y penser, et c’est sans compter cette meute de loups qui avait été repérée dans les parages peu avant leur départ, déchiquetant l’orignal dont ils venaient de faire leur proie…
Par contre, le challenge - le vrai - c’est le froid. Ça peut paraître évident, et les explorateurs s’y étaient bien sûr préparés. Mais la réalité est quand même un choc. Comme Mathieu le formule sans détour, « dormir dans une tente à des températures dans les moins trente degrés, c’est douloureux. » Même avec le bon équipement, difficile d’anticiper ce que représentera l’adaptation au froid: «il faut surtout l’accepter, pour se libérer de sa morsure incessante ». Brr.
Magasinez les essentiels de Mathieu et Loury
Quand on leur demande ce qui leur a le mieux plu dans toute cette aventure, on revient sur le partage. En fait, il semble que ce soit un peu le thème de ce qu’ils ont vécu: le partage des compétences entre Loury et Mathieu; le partage des émotions avec leur entourage et leurs proches; l’accueil généreux de la Nation Innue; et l’aide reçue des acteurs locaux, dans les différentes régions traversées.
Finalement, relever d’immenses défis, si téméraires soient-ils, ce serait en quelque sorte stérile sans une certaine dimension spirituelle. Laissons donc le mot de la fin à Mathieu Blanchard, puisqu’il le dit si bien: