Texte : Nathaniel Atakora Martin
L’aventure d’une vie
Le photographe Nathaniel Atakora nous raconte comment son père lui a transmis sa passion du plein air et l’a amené à découvrir une nouvelle région du Canada.
À l’âge de 7 ans, les prairies étaient tout ce que je connaissais. Je suis né dans le même petit village rural que mon père et durant mes premières années de vie, nous demeurions dans le centre de la Saskatchewan. C’était à l’époque où mes aventures se déroulaient près du ruisseau qui coulait derrière l’immeuble dans lequel se trouvait notre appartement, sur les lacs qui gelaient en hiver ou sur les routes grises et craquées qui me menaient à de nouveaux endroits. Je passais mes étés à lire des romans comme The Hatchet et My Side of the Mountain, en rêvassant au jour où je me tiendrais moi-même en équilibre au bord d’un précipice. Le jour où mon père a trouvé un poste d’enseignant dans un village de montagne nommé Jasper, j’étais surexcité - j’allais enfin découvrir les montagnes pour la première fois de ma vie.
Très tôt un matin d’été, mon père nous a donc entassés dans la voiture, mon frère et moi, entre les oreillers et les couvertures de nos lits maintenant disposés sur la banquette arrière. Il s’est arrêté chercher un café - un double-double - pour la route et nous étions partis. Je me souviens regarder le paysage défiler à travers la fenêtre et devenir moins familier chaque fois que nous nous arrêtions pour faire le plein d’essence. Entre les gorgées de son café, mon père nous régalait de ses histoires du temps où il vivait dans l’« Ouest », ou partageait ses connaissances de la région dans laquelle nous nous trouvions. Peu de temps après notre départ, nous étions entourés de sommets de tous les côtés de la route, notre Nissan Multi traçant son chemin dans la vallée entre les montagnes. J'apercevais les lacs aux eaux turquoise entre les arbres pour la première fois en pensant que des tons de vert et de bleu aussi vibrants ne pouvaient être naturels.
La région était grouillante de vie sauvage. Des wapitis et des mouflons canadiens déambulaient sur les bretelles d’accès de l’autoroute en jetant des coups d'œil discrets à mon frère et moi qui sortions nos têtes par la fenêtre de l’auto. Ce qui m’a le plus marqué était la verticalité du terrain, je me souviens être très impressionné. Jamais je n’aurais imaginé qu’un paysage puisse être aussi immense et magnifique. Je ne voulais pas détourner le regard des montagnes un seul instant.
À certains endroits particulièrement beaux, mon père s’arrêtait pour prendre des photos de mon frère et moi devant les montagnes. Aussi loin que je me rappelle, il avait son vieil appareil Fuji noir automatique. J’aimais beaucoup les photos quand j’étais enfant; tout le monde se rassemblant et souriant pour la caméra, la pellicule à rembobiner avant de la déposer au laboratoire, ma mère regardant les négatifs à travers la lumière et les disposants délicatement dans un album photos en les identifiant d’une petite étiquette.
À un certain moment durant le voyage, mon père m’a prêté son appareil. C’est à ce moment que je suis devenu le «photographe de la famille», à mon grand bonheur. Les clichés n’étaient sans doute pas tous réussis, puisque ceux qui se sont retrouvés dans l’album de ma mère sont pour la plupart des portraits de moi, mais j’avais tout de même réussi à prendre une belle photo de mon père de laquelle je suis encore très fier aujourd’hui.
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Je me demande parfois à quoi ressemblaient ces moments pour mon père. Étant témoin de mon émerveillement et de la joie que cette expérience a éveillé chez moi, je me demande s’il savait que ces souvenirs avaient planté une graine dans mon esprit, qu’ils m’accompagneraient pour le reste de ma vie et orienteraient mes choix en vieillissant. Aurait-il pu s'imaginer qu’un jour, je ferais carrière en prenant des photos à ces mêmes endroits.
Mon père a toujours été une présence patiente et encourageante dans ma vie. Il a toujours soutenu mes projets créatifs et s’est toujours montré motivant. Encore à ce jour, je m’efforce de prendre exemple sur lui. Avec les récents évènements et les interdictions de voyage, je ne l’ai pas vu lui ni les autres membres de ma famille, depuis un certain temps. Même si ça me laisse avec un sentiment mitigé, je sais que cette séparation me permettra d’apprécier encore plus le moment où nous serons tous réunis. Dans un futur proche, j’aimerais l'emmener faire un road trip dans les montagnes et le réintroduire au monde qu’il m’a lui-même fait découvrir.
Ces routes et ces lacs qui étaient si étrangers à mes yeux à l’époque sont aujourd’hui les endroits où je me sens le plus chez moi. J’aurai maintenant moi-même des histoires à raconter entre les gorgées de café à mesure que nous progresserons sur la route entre les montagnes. Nous pourrons échanger les couvertures et les oreillers pour des sacs de couchage et des tentes, et les pauses-café à la station-service pour une tasse fumante autour du feu de camp. D’ici là, j’apporte ces souvenirs partout avec moi.