Mots par Stéphanie Major et Sara Buzzell
Kari Traa : La révolution fluo dans la poudreuse
Parler d’entrepreneuriat féminin en 2025, ça n’a plus rien de spécial. Et pourtant, ça reste un acte engagé. Ce n’est pas le fait de lancer une marque qui surprend – c’est plutôt la manière de le faire. Avec ses couleurs, ses motifs, son humour contagieux, Kari Traa a jeté les bases d’un entrepreneuriat instinctif, libre, presque désinvolte. Un modèle qui influence aujourd’hui les jeunes générations.
En Norvège, c’est une vedette. Championne olympique, entrepreneure, véritable icône de la liberté féminine et sportive; Kari Traa est plus grande que nature. Au-delà des frontières scandinaves, cependant, peu connaissent son parcours atypique et sa tendance à briser les règles du jeu. Son influence perce désormais le marché nord-américain, dans les motifs floraux et le rose de ses célèbres couches de base et vêtements en laine mérinos, ceux-là mêmes qui sont venus réveiller une industrie du plein air longtemps dominée par les monotones nuances de noir et de marine.
Kari Traa n’a pourtant rien d’une entrepreneure née. Pour fonder sa marque, pas de tableaux Excel, de hautes études commerciales ou de plans d’affaires, mais une vision claire : celle de créer des vêtements techniques pensés exclusivement pour les femmes. Et une absence totale de peur. Après une carrière de ski acrobatique passée à vivre de figures complexes et de risques calculés, elle reste une amoureuse de l’adrénaline. Le dødsing, par exemple (littéralement, plongeon de la mort), sport extrême norvégien qui consiste à sauter de plusieurs mètres de haut, en restant à plat ventre le plus longtemps possible avant de toucher l’eau en position repliée. Elle fait d’ailleurs partie des skieuses norvégiennes qui ont le plus chuté en compétition, un fait qu’elle revendique avec humour. C’est cette confiance presque absurde et cet indéfectible optimisme qui l’ont menée des podiums aux plus hautes marches de l’industrie.
Hans Eide, ex-champion olympique de bosses et partenaire d’affaires de longue date de Kari, l’exprime bien: « Elle n’a peur de rien. Elle ose tout faire. Je l’ai vue pratiquer le dødsing encore l’année passée, vêtue d’un maillot de bain qu’elle avait tricoté elle-même. Elle est aussi excentrique qu’elle l’était quand elle était jeune. » C’est d’ailleurs lui, à l’époque, qui lui a proposé d’utiliser son nom – Kari Traa, championne de ski de bosses et multiple médaillée olympique – pour la marque qu’elle était en train de créer. « En Norvège, les gens admirent les grands sportifs plus que tout. Et déjà à l’époque, les gens admiraient Kari Traa. La marque avait beau être une expérience, elle a vite porté fruit. » Aujourd’hui, la marque se frotte aux plus grands joueurs sur la scène du plein air européenne.
Kari aime raconter que l’idée de lancer sa propre marque est née un peu par accident. « À l’époque, mes amies tombaient toutes enceintes... et moi, je me suis dit : bon, je fais quoi maintenant? » Elle n’a pas choisi la facilité : elle a choisi de bâtir un empire, à sa manière. C’est en 2006, à l’ISPO Munich – le plus grand salon professionnel du sport au monde – que vient la consécration internationale. Présenter une collection entièrement dédiée aux femmes, dans un secteur encore largement dominé par les hommes, relève presque du miracle. Mais la réaction du marché est immédiate : le mélange de technicité, de design audacieux et de fraîcheur séduit le public. Pour Kari, cette première participation marque un tournant. Elle prend sa retraite sportive peu après les Jeux de Turin, et consacre désormais toute son énergie à sa marque. Ce moment de bascule symbolise l’entrée de Kari Traa dans la cour des grands – non plus comme athlète, mais comme entrepreneure à suivre. Et comme modèle féminin à reproduire.
L’apologie des couleurs
« Un jour, j’ai peint mes bottes de ski avec des fleurs ».
Malgré son succès phénoménal en Scandinavie, la marque Kari Traa est partie d’une simple frustration; celle de devoir porter des vêtements pour homme en compétition. Tout était fait pour les athlètes masculins : les t-shirts, les manteaux, le look – tout était gris, monotone, et la coupe carrée ne faisait pas du tout aux femmes.
« Je ne veux pas me plaindre, mais mes commanditaires me donnaient toujours des vêtements tellement laids, se souvient-elle en riant. J’ai donc commencé à en tricoter moi-même. » Elle commence par vendre des tuques, puis à étendre sa gamme aux t-shirts et aux sous-vêtements. La marque voit le jour. Nous sommes en 2002, alors que la notion de female founder n’en est qu’à ses balbutiements. Dans un marché porté par une poignée de grands joueurs, Kari Traa prend tout le monde à contrepied. Son créneau : la féminité active, expressive, assumée. « Les autres marques commençaient par les hommes, puis allaient vers l’unisexe, et enfin (parfois) les femmes. J’ai décidé de commencer directement avec les femmes. » Dès ses débuts, elle refuse les codes sobres du vêtement de plein air. Résultat : des palettes de couleurs vives, des motifs volontairement ludiques inspirés du folklore norvégien, et une silhouette flatteuse conçue pour bouger.
Après l’ISPO, c’est en 2008 que la marque frappe un grand coup avec sa désormais célèbre couche de base rose en laine mérinos, tricotée avec des motifs inspirés du vieux chalet familial. Une création née lors d’un week-end de Pâques, autour d’une bière maison, avec une amie designer. « Ce n’était pas facile, mais on a dessiné le motif du chalet… et c’est devenu un best-seller! » Les pièces bouleversent ainsi un marché figé, habitué à proposer toujours les mêmes produits. En quelques années, Kari Traa devient la marque de couches de base pour femme la plus populaire de Scandinavie, et l’une des plus dynamiques d’Europe.
Cette volonté d’en faire à sa tête, de tracer sa propre ligne – qu’elle soit graphique ou dans la poudreuse – ne date pas d’hier. Bien avant les podiums, bien avant la laine mérinos tricotée main, il y avait déjà cette fille de Voss qui n’attendait pas qu’on l’invite pour prendre sa place. Enfant, Kari Traa était la seule à aller skier avec les garçons. « Si les garçons le faisaient, pourquoi pas moi? Ils ne m’ont d’ailleurs jamais traitée différemment. Ils ne m’ont jamais donné de traitement de faveur ou ils ne m’ont jamais forcée à skier derrière eux parce que j’étais une fille. Je faisais partie du groupe, je pense qu’ils ne voyaient même pas la différence. »
Elle ajoute: « Donner une place aux femmes sur la scène du plein air est essentiel. Beaucoup de sociétés à travers le globe ont des problèmes avec l’égalité des sexes. En Norvège, ça va bien, mais… Il faut se battre pour le reste du monde. Et puis, en ce moment, le monde est plutôt fou. Je n’ai pas toujours l’impression qu’on s’en va dans la bonne direction. » C’est ça aussi, l’idée derrière Kari Traa. Le renforcement positif. Montrer aux filles qu’elles ne devraient se mettre aucune barrière. « Quand je skiais avec les garçons, on voulait que d’autres filles se joignent à nous! Mais elles ne voulaient pas, on allait trop vite, trop loin. J’aurais dû essayer plus fort pour les convaincre, mais c’est maintenant ce que je fais aujourd’hui ».
«Vous êtes Kari Traa? On vous croyait morte!»
C’est ce que deux jeunes femmes, bouche bée, lui lancent dans un gala. Preuve que son nom est aujourd’hui plus grand qu’elle – et qu’elle est devenue avant tout un symbole culturel, presque une figure de résilience. Et puis, il y a eu ce moment improbable : Sarah Jessica Parker elle-même qui entre dans une boutique Kari Traa, achète la couche de base rose, la porte, puis la publie sur Instagram. Une star mondiale, une pièce tricotée à l’origine dans le vieux chalet familial, sans prétention… L’entrée de la marque sur la scène de la mode était assurée.
En 2025, beaucoup d’entreprises tentent de se doter d'une raison d’être à laquelle chacun peut s’identifier. Kari Traa est née avec une mission viscérale et irrépressible : libérer les femmes dans leur pratique du sport, et dans leur façon de se présenter au monde. Et tant mieux si certaines pensent qu’elle n’existe plus : Kari Traa, aujourd’hui, c’est tout un mouvement.
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