Mots par Stéphanie Major et Sara Buzzell
Dans l’oeil du Québec : Rando au coeur des monts Groulx
Au nord du 51e parallèle, entre Manic 5 et Fermont, là où même le réseau cellulaire ne se rend pas, s’élèvent les monts Groulx. D’un côté, ils bordent le réservoir Manicouagan, un lac creusé par l’impact d’une météorite il y a plus de 200 millions d’années et surnommé l’Œil du Québec en raison de sa forme circulaire. De l’autre, ils laissent la place à la trentaine de sommets du territoire de Uapishka, « sommets blancs » en innu-aimun, un rappel de la neige qui recouvre ce pays sauvage neuf mois sur douze. Notre destination : la Station Uapishka, au 335e kilomètre, à près de douze heures de Montréal. Pour nous orienter, rien d’autre que les panneaux de kilométrage installés périodiquement le long de la route.
Je suis avec Bianca Petri, qui a fondé son entreprise Peak Secourisme en 2022, avec l’objectif de rendre plus accessible l’information sur la sécurité en plein air. Infirmière, Bianca s’est donné pour mission d’outiller les adeptes à pratiquer leurs activités de façon responsable. Pour elle, les gens doivent savoir que ce n’est pas parce qu’ils sont au Québec et non dans les Alpes qu’ils n’ont pas de précautions à prendre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle m’accompagne dans les monts Groulx; ici, sans réseau ni infrastructures à proximité, les sauvetages sont ardus. Il faut absolument être préparé. Cette préparation passe par une planification adéquate de notre itinéraire, la connaissance du terrain et des distances à l’avance, un système de communication efficace comme un téléphone satellite ou une balise SOS GPS (ne vous fiez jamais uniquement à votre téléphone intelligent!), les connaissances de premiers soins et le respect absolu des éléments.
On s’enfonce dans l’immensité du territoire, vers la Station Uapishka. Déposée sur les berges du réservoir Manicouagan, la Station accueille aventuriers et travailleurs qui ont besoin d’un pied à terre temporaire. Nous dormons dans le Camp des guides, un refuge chauffé au poêle à bois, sous le regard silencieux de l'Œil du Québec. Dès le lendemain matin, nous devrons commencer à nous préparer pour notre expédition.
« Quand tu m’as proposé de venir ici, j’étais assez nerveuse, avoue Bianca. Même si tu es un randonneur expérimenté, une formation en sécurité de plein air est cruciale pour une expédition comme la nôtre. Elle te donne les outils pour évaluer les risques, gérer des situations d’urgence et éviter des erreurs qui peuvent être fatales. » Et pour apprendre, justement, à mieux connaître ce territoire sauvage, nous avons rendez-vous au kilomètre 365 avec un expert de la région, Guy Boudreau.
Guy s’est établi au pied des monts Groulx il y a plus de quinze ans, dans un camp qu’il a construit de ses propres mains. Il y vit en autonomie, s’alimentant en électricité grâce à un système de panneaux solaires et une génératrice d’urgence, et il connaît la région comme personne. Son entreprise Aventure Uapishka organise des traversées du territoire en deux axes : Nord-Sud, l’itinéraire classique d’une cinquantaine de kilomètres, et Est-Ouest, sa version plus corsée d’environ 90 km, qui commence près d’un lac où l’on se fait déposer en hydravion. Guy accompagne ces expéditions et donne des conférences quant à la préparation requise pour celles-ci.
Attablés autour de cartes de la région, on discute avec lui de notre itinéraire à venir. « Ici, ça peut prendre jusqu’à 48 heures pour se faire secourir s’il arrive quelque chose, et il faut être équipé pour appeler les secours, souligne Guy. Les sentiers ne sont pas balisés, on doit savoir s’orienter avec une carte et une boussole. » Dans ses formations, le guide parle aussi de la forme physique nécessaire. Il faut être en excellente forme, s’être entraîné à grimper et à descendre en travaillant son endurance (idéalement en nature plutôt qu’au gym seulement), et savoir gérer le poids élevé d’un sac à dos. Mais c’est aussi une question d’aptitudes mentales; il faut se préparer à la solitude et aux imprévus, apprendre à gérer son stress et reconnaître ses limites.
Tous les ans, dans les monts Groulx comme ailleurs, des évacuations pourraient être évitées avec une préparation adéquate. Bianca me parle par exemple d’un autre voyage où un randonneur de son groupe a subi une entorse grave. Cette blessure sérieuse peut s’avérer banale en plein centre-ville, mais au milieu de nulle part, c’est grave. « Nous avons dû adapter notre plan de route en urgence, le stabiliser et le transporter dans les meilleures conditions. Ce qui m’a marquée, c’est l’importance de rester calme, de communiquer clairement et de s’entraider. Notre bonne connaissance de la médecine a permis de stabiliser le membre et d’éviter la détérioration (un problème de circulation, par exemple). » Sans ces savoirs de base, la situation aurait pu prendre une toute autre tournure.
Ascension du massif Provencher
C’est l’heure de mettre enfin toutes ces notions en pratique. Nous quittons notre camp aux aurores. Dans nos sacs, les essentiels de Bianca : une tente, des sacs de couchage d’hiver, des vêtements de rechange, des repas lyophilisés, des collations, un filtre à eau, un réchaud, du répulsif à ours, une boussole, une carte, des trousses de premiers soins, des lampes frontales et des bâtons de marche - très utiles pour réduire le stress sur les articulations en terrain irrégulier. Bianca porte son GPS Garmin InReach, dans lequel elle a enregistré notre itinéraire et qui nous permet d’être suivies à distance par nos proches. « Avant de partir, assurez-vous de donner vos itinéraires et l’horaire de votre randonnée à des personnes de confiance, rappelle-t-elle. » Les sentiers boueux sont déjà couverts de neige; une chance que Guy nous avait prévenues de porter des bottes imperméables.
Nous avons 4,1 km à parcourir pour arriver au Lac Castor, où nous installons notre camp. On passe à côté du camp de Jacques, l’un des pionniers des monts Groulx, qui a contribué à les populariser auprès des aventuriers québécois. Après une légère ascension, des ouvertures à travers les arbres laissent apparaître un paysage grandiose. Le Réservoir Manicouagan, que l’on avait jusque-là seulement vu de la terre, s’étend devant nos yeux. Deux bonnes heures de randonnée nous permettent ensuite d’arriver à un plateau entre les arbres, tout indiqué pour établir notre refuge pour la nuit. On y monte notre tente avant de poursuivre notre expédition vers le massif Provencher, avec son point de vue panoramique sur les pics avoisinants.
Au sommet, les conifères laissent place à la taïga. Le silence, lui, ne laisse sa place à personne. Les crevasses des pics rocheux sont remplies d’une neige immaculée, constamment balayée par le souffle du vent. On contemple l’immensité, le Grand Nord qui nous semble tout près, le soleil qui commence sa descente à l’horizon. Après avoir transpiré en grimpant, le froid de l’altitude nous fait vite frissonner. L’hypothermie est un danger sournois. Beaucoup sous-estiment les effets combinés du froid et de l’humidité et même si le temps était doux il n’y a pas si longtemps, on ne doit pas s’attarder. Il faut redescendre.
Retour au campement. À la lueur des flammes, le froid n’existe plus. Le crépitement des braises accompagne nos conversations jusqu’à ce que le sommeil s’empare de nous. Bianca fait chauffer de l’eau pour qu’on remplisse nos bouteilles qui deviendront bouillottes le temps d’une nuit. Glissées dans nos sacs de couchage, elles nous permettront de ne pas penser à la neige tout autour. Notre trek tire à sa fin, mais ce n’est certainement pas ma dernière expédition de ce genre.
Ici, on est seul au monde, abandonné à nous-mêmes. Discuter avec des professionnels de l’industrie me fait réaliser que je n’étais pas forcément au fait de toute la préparation et des connaissances requises pour s’aventurer aussi loin en nature. La popularité grandissante des monts Groulx avec l’essor du plein air au Québec implique que d’autres devront également avoir cette prise de conscience avant de partir découvrir la région. Si l’inconnu intrigue, il rappelle aussi l’importance de rester sur ses gardes. Pour Bianca, c’est une évidence : « La montagne ne pardonne pas, et l’ego n’a pas sa place ici; ce qui compte, c’est l’entraide, la prudence et la communication constante. Même chez les aventuriers expérimentés, l’humilité est essentielle. »
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