Texte: Stéphanie Major, rédactrice chez Altitude Sports.
Mountain Hardwear à travers les âges: 30 ans d'aventure
Alors que la célèbre marque de plein air fête son 30e anniversaire, je suis parti rencontrer les athlètes qui ont façonné son histoire, dans les conditions les plus difficiles et les défis les plus personnels.
Tim Emmett: le pionnier
Quand Tim a commencé à travailler avec Mountain Hardwear en 1999, il faisait ses premiers pas dans le monde de l’escalade compétitive. Aujourd’hui, après plus de vingt ans à ses côtés, il est le plus ancien ambassadeur de la marque.
Si son nom ne vous dit rien, il résonne avec force sur la scène de l’escalade de glace. Tim Emmett cumule les exploits qui défient l’entendement. On lui doit l’ouverture de nombreuses routes, certaines parmi les plus difficiles au monde. Le sacre absolu vient en 2016 avec Helmcken Falls, en Colombie-Britannique. Une chute imposante de 141 m, entourée de parois de glace infranchissables, à l’horizontale. Avec son compatriote Klemen Premrl, Tim est le premier grimpeur à se risquer sur ses murs glacés. Il donne à cette nouvelle route le nom poétique d’Interstellar Spice, la première route au monde à être classée WI12, sur une échelle de difficulté qui ne comporte normalement que 7 niveaux.
Aujourd’hui, l’athlète que je suis venu rencontrer à Vancouver n’a rien perdu de sa superbe. Il vient d’ailleurs me prendre en bateau, pour nous emmener dans son spot d’escalade préféré de la région, près de Squamish, sur Anvil Island. Une falaise jadis oubliée, incroyablement abrupte, sur laquelle Tim a ouvert une voie d’escalade de plus en plus connue sur la scène locale. «Je suis plus fort aujourd’hui à presque 50 ans que j’ai pu l’être plus jeune. C’est mon approche, ma gestion de la fatigue et du risque, l'entraînement, l’alimentation et tout simplement l’expérience qui font toute la différence». Comme pour prouver ses propos, il s’élance sur la paroi avec une telle aisance que, malgré ma jeunesse et mon goût pour les sensations fortes, je ne pourrais même songer à imiter.
L’âge ou l’expérience? je lui demande. Il sourit. «L’expérience, for damn sure.»
«La nouvelle génération de grimpeurs est incroyable, ils sont tellement forts. Si je peux les aider avec leurs techniques, leur vision, leur approche - alors j’aurai véritablement réussi à redonner à ma communauté, indique-t-il en me parlant de son nouveau rôle de mentor.» Pour Tim comme pour Mountain Hardwear, il faut voir au-delà des performances. Ce sont des gens qui ont le désir d’innover, de voir le sport progresser après eux. Et pour que le sport puisse bien progresser, c’est toute la société qui doit évoluer avec lui.
Nikki Smith: la visionnaire
Je rencontre Nikki à Salt Lake City, dans l’Utah, après un vol de quelques heures. Elle fait partie de ces gens qui, comme moi, trouvent que le monde n’évolue pas assez vite pour tous. C’est une grimpeuse accomplie, une photographe hors-pair et une activiste.
Nikki, c’est aussi une femme transgenre, qui sait mieux que quiconque ce que ça fait de se sentir à part dans une communauté aussi tissée que celle de l’escalade.
«J’ai commencé à grimper dans les années 1990. À l’époque, je ne voyais personne comme moi. J’avais la conviction d’être seule au monde. Il y avait énormément de blagues à caractère homophobe ou transphobe. Même les routes d’escalade avaient des noms dégradants. Après ma transition, plus personne ne me regardait de la même manière. J’ai reçu des menaces de mort juste parce que je voulais pratiquer mon sport. Mais j’étais pourtant la même personne qu’avant; c’est le regard des autres qui avait changé.»
Entre Nikki et Mountain Hardwear, pourtant, l’histoire est belle. Avec le soutien de la marque, elle fonde Open Aperture, un organisme qui donne la parole à des personnes issues de communautés marginalisées et sous-représentées dans le monde du plein air, à travers des ateliers photo qu’elle dirige elle-même. Mountain Hardwear lui propose un cadre pour évoluer et partager son expérience avec ceux et celles qui n’ont souvent pas leur mot à dire. Pour leur donner une place dans un monde encore réticent au changement.
«L’escalade évolue. Il y a de plus en plus de grimpeurs issus de la communauté LGBTQIA+, mais ils ont souvent peur de se présenter aux événements et aux compétitions. Ils pensent être seuls au monde. Alors, quand je grimpe, je m’assure de porter des petits drapeaux de la Fierté. Mais vous comprendrez; ça n’a rien à voir avec ma sexualité.»
Les ambassadeurs, chez Mountain Hardwear, ce sont plus que des athlètes. Ce sont des gens qui s’impliquent, qui voient plus loin que le simple désir de briser des records, et qui sèment les graines du changement.
Bryce Barnes: le futur
Juneau, Alaska. J’arrive au beau milieu de la nuit dans la capitale de l’État américain, patrie des montagnes et des icebergs. L’avenir de Mountain Hardwear s’incarne en Bryce Barnes, que je rencontre un matin d’avril, autour d’un café. Disons-le tout de suite: dans le monde des sports d’hiver, il n’y a pas beaucoup de gens comme Bryce Barnes. Déjà, des Afro-Américains, en Alaska, il y en a peu. Mais dans l’univers des guides de montagne, professionnels du plein air, du ski de randonnée, du splitboard et j’en passe - il y en a encore moins.
Bryce a grandi dans le Maine. Sa discipline de prédilection, c’est le splitboard. Ambassadeur chez Mountain Hardwear depuis un an, il fait partie de la nouvelle génération, celle en qui la marque fonde ses espoirs pour le futur. Il m’explique pourquoi: «Le splitboard, c’est le rêve de toute une vie. Je n’arrêterai jamais de le pratiquer. Mais ma mission? C’est différent. Ma mission, c’est de permettre aux communautés historiquement marginalisées de pratiquer elles aussi des sports d’hiver.» Il me propose d’ailleurs de l’accompagner en ski le lendemain, pour qu’on en parle davantage.
Au milieu des montagnes sans nom
On atteint la limite des arbres, et le sommet apparaît devant nos yeux. La visibilité est quasi nulle. Nous sommes sur Douglas Island, une terre de glace et de forêts, juste en face de Juneau. Bryce est venu dans les derniers jours, en reconnaissance, afin de déterminer les meilleures routes et les conditions de neige pour une petite aventure de ski. Aujourd’hui, pour le moment, pas de chance: un épais brouillard recouvre les environs, et alors qu’on devrait apercevoir la mer, je ne vois pas plus loin que le bout de mes skis.
C’est avec une prudence extrême que je m’élance à la descente, à la suite de Bryce. Par miracle, le ciel s’éclaircit, et la brume laisse la place à un soleil aveuglant et des conditions magiques. L’eau qui scintille au loin, le ciel d’un bleu vif, la poudreuse aux genoux en ce mois d’avril… Je n’avais jamais rien connu de tel.
Tout sourire après la descente, Bryce me dit qu’il est conscient de la chance qu’il a d’être ici, au milieu de sommets tellement éloignés qu’ils n’ont même pas de noms. Travailler avec Mountain Hardwear est un rêve.
«Tout le monde n’a pas un accès égal aux sports d’hiver. L’équipement est très cher et, historiquement, ce sont des activités “réservées” aux Blancs plus fortunés. Avec Mountain Hardwear et Inclusive Ski Touring, un organisme à but non lucratif dont je suis membre, on offre aux communautés BIPOC la possibilité d’essayer, à moindre coût, ces sports qui ont personnellement changé ma vie.»
Ici aussi, l’histoire est belle. Mountain Hardwear, c’est plus loin que le sport, plus loin que les records, les performances. Tout est une question d’expériences. Après plus de trente ans de présence en plein air, elle sait mieux que jamais comment faire une véritable différence. Et ce n’est que le début…