Petit train va loin

Pour Émile David, la photographie et la vidéo sont de puissants outils de communication. En tant que vidéaste et directeur photo, son travail est axé sur la relation entre les humains et le territoire. Il a choisi de s'établir au Saguenay pour se rapprocher d’espaces naturels intouchés.

Petit train va loin

Ilan fait partie de l'équipe marketing d'Altitude Sports. Coureur passionné - quoique depuis peu - il adore décortiquer méthodes d'entraînement, équipement et science du sport. Bien qu'il priorise le sentier autant que possible, l'hiver montréalais le force à garder ses réflexes aussi sur la route.

Petit train va loin

Mots par Ilan Abikhzir et Simon Ruel

Petit train va loin

100 kilomètres de persévérance au Cap, avec Marianne Hogan

Marianne Hogan - son bronzage qui témoigne de mois d’entraînement et de courses dans les Alpes françaises, en Chine et en Afrique du Sud - m’attend dans le lobby de notre hôtel. Elle m’accueille chaleureusement, et derrière ses grandes lunettes rondes, son sourire exprime tout l’enthousiasme auquel je m’attendais. C’est ma première rencontre avec Marianne, mais j’ai l’impression de la connaître, ayant suivi son parcours en tant que coureuse de trail chez Salomon. Elle me présente à plusieurs légendes du sport pour lequel je me suis pris de passion ces trois dernières années - Thibault Baronian et Vincent Viet, respectivement membre et manager du programme Global Athlete Trail Running de Salomon - qui sont ici pour la même raison qu’elle: l’Ultra-trail Cape Town, une traversée mythique, technique et ardue des plateaux rocheux et des plages de sable blanc de la cité-mère.

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À L’ÉCOUTE DE SON CORPS 
Pendant un rare moment de calme, Marianne me donne rendez-vous dans un café végane, pour discuter autour de kombuchas locaux (c’est sa boisson favorite). Je meurs d’envie de la questionner sur son retour à la compétition après ses blessures récentes, une déchirure du psoas et une entorse à la cheville, suite auxquelles elle a gagné l’Ultra-trail du Tsaigu en Chine, seulement quelques semaines plus tôt. 

«Ça n’a pas été facile». Entre deux gorgées, elle enchaîne: «J’ai dû complètement réévaluer mon approche de l’entraînement. Avant cette saison, je n’avais jamais eu d’entraîneur durant ma carrière de course sur sentier. Mon nouveau coach a vraiment su modérer mon rythme. Il a insisté pour que j’écoute davantage mon corps, et même pour que je diminue un peu mon volume d’entraînement. Je suis quelqu’un qui veut toujours en faire plus, tout le temps, mais j’ai dû apprendre à ralentir pour rester en bonne santé.» 

«Ça n’a pas été facile». Entre deux gorgées, elle enchaîne: «J’ai dû complètement réévaluer mon approche de l’entraînement. Avant cette saison, je n’avais jamais eu d’entraîneur durant ma carrière de course sur sentier. Mon nouveau coach a vraiment su modérer mon rythme. Il a insisté pour que j’écoute davantage mon corps, et même pour que je diminue un peu mon volume d’entraînement. Je suis quelqu’un qui veut toujours en faire plus, tout le temps, mais j’ai dû apprendre à ralentir pour rester en bonne santé.» 

On rentre vers notre hôtel, où il reste une étape de préparation importante à accomplir pour la course de demain. Benoit, ami et membre de son équipe, vient réviser avec Marianne sa stratégie en ce qui concerne les stations de ravitaillement. On pourra ensuite se procurer tout ce qu’il nous faudra pour être les meilleurs alliés possible. 

Il s’agit d’une partie intégrante de l’ultra-trail: des stations de ravitaillement permettent aux coureuses d’avoir accès à leur équipe, de s’alimenter et de faire des changements d’équipement en cours de route. Pour le meilleur avantage possible - même lors d’une course de 100 km, la victoire peut se jouer sur seulement quelques minutes - le rôle des équipes est passé du remplissage de bouteilles d’eau à quelque chose qui s’apparente davantage à la Formule 1. 

LE JOUR DE LA COURSE 
Nos alarmes sonnent à 3h30 du matin. Le soleil ne se lèvera pas avant des heures, mais notre journée commence déjà. Le déjeuner nous attend déjà en bas, servi tout spécialement pour nous à cette heure inopportune. Personnellement, j’ai de la difficulté à manger avant une course, mais Marianne et ses coéquipiers ingèrent méthodiquement ce qui sera le carburant de base de la longue journée à venir. Ils dévoreront des quantités massives de calories tout au long de la course (suivant leurs habitudes et plans de nutrition respectifs), mais ceci est leur dernier vrai repas avant la ligne d’arrivée. C’est donc crucial qu’il contienne tout ce dont ils ont besoin: pain blanc, jus, gruau, et pas de café - que des glucides faciles à digérer. 

«Comment tu te sens?» Je questionne Marianne au milieu du chaos de la ligne de départ, alors qu’elle obtient sa balise GPS des organisateurs de la course (c’est un privilège réservé aux dix meilleurs coureurs de chaque catégorie). 

«Bien!» Sa réponse est accompagnée d’un grand sourire. «Entre toi et moi, mon plan est de compenser pour ma forme moyenne, qui va me nuire dans les ascensions, en sortant très fort pendant que ce n’est pas trop technique. On verra bien!» 

Sa cheville gauche bien emballée, récente entorse oblige, et de retour à l’entraînement depuis seulement quelques mois, elle prévoit de démarrer en force, dans le groupe de tête chez les femmes. Je suis impressionné par sa ténacité et son optimisme. 

Soudain, prêts pas prêts, le compte à rebours commence, on sonne le départ, et j’encourage Marianne de toutes mes forces alors qu’elle s’éloigne au sprint. Benoit et moi attendons à peine de la voir disparaître au premier virage avant de courir vers la voiture.

On se précipite d’une station de ravitaillement à l’autre. À la fin de la journée,on aura vu Marianne 11 fois (la plupart des courses de 100 km ne permettent de voir les athlètes qu’environ deux fois, avec de la chance). En deuxième place depuis le départ, elle défend sa position ardemment durant les 50 premiers kilomètres. Quelque part entre deux stations, sur l'inaccessible plateau de la montagne de la Table, Benoît rafraîchit avec nervosité le suivi GPS en temps réel, confirmant nos soupçons: Marianne a considérablement ralenti, et perd du terrain sur la position de tête. Plus inquiétant encore, la coureuse en troisième place est en train de la rattraper rapidement.  

SUIVRE LE SENTIER 
À une station sur une plage de sable blanc, sous un soleil de carte postale, Marianne nous prend au dépourvu: 

«Ciseaux! J’ai besoin de ciseaux!» 

Tout le monde retient son souffle pendant qu’on se démène pour trouver une des seules choses qu’on n’a pas préparées. Coup de chance: une bonne samaritaine, membre de l’équipe d’un des favoris masculins, en a une paire qu’elle me met directement dans la main. Marianne se dépêche de couper le bandage à sa cheville, qui est devenu trop serré et douloureux. Elle refait les lacets de ses Salomon Ultra Glide et fonce hors de la station, à la poursuite de la première coureuse. 

Benoit et moi retournons à l’auto avec sac et glacière. On s’avance sur le parcours pour rencontrer Marianne plus loin. Au col de Constantia Nek, assis dans les marches en terre au milieu des vignobles qui couvrent les collines, attendant le passage des premières coureuses, on fait nos prédictions sur la suite de la course, après la descente. On imagine les batailles qui se livrent loin de nos regards, et les chevilles tordues qu’on ne peut prévenir. 

14 minutes après que la première femme soit passée, on en voit une autre qui s’approche, mais à notre grande déception, ce n’est pas Marianne. Sa poursuivante l’a dépassée dans une montée technique seulement quelques kilomètres plus tôt.

Quand Marianne apparaît finalement, Benoit et moi courons à ses côtés, la bombardant de questions. Comment se sent-elle? Comment va la cheville? Aura-t-elle besoin de quelque chose de spécial au prochain ravitaillement? 

Marianne, sentant notre inquiétude, s’éloigne joyeusement et nous lance une phrase par-dessus son épaule, qui nous restera dans la tête pour le reste de la journée: «Petit train va loin!»

Elle sourit en nous laissant derrière. Plus tard, en traduisant le sens de la citation pour Caitlin Pipfielder, amie de Marianne et coéquipière chez Salomon, je me dirai qu’elle illustre parfaitement sa persévérance et le genre de détermination qui l’a menée jusqu’ici. 

À 10 km de l’arrivée, Marianne est toujours en troisième place, et on observe son point se déplacer sur notre écran. La distance entre elle et la deuxième place diminue rapidement. Je saute quasiment en place en disant à Benoit qu’elles vont arriver à la station en même temps. On sait tous les deux que ce ravitaillement sera décisif. Les secondes qui s’y gagneront ou qui s’y perdront pourraient très bien faire la différence entre Marianne et sa compétitrice - pour le meilleur ou pour le pire. 

Marianne arrive la première, quelques secondes devant sa poursuivante. Elle échange ses flasques, et en moins de temps qu’à chaque station précédente, elle repart à toute allure vers la dernière ascension. Je démarre un chronomètre sur mon téléphone. Quand l’autre coureuse repart, elle a une bonne minute de retard. Je me dis que sous toutes réserves, la deuxième place est assurée, surtout si notre Québécoise continue de creuser l’écart. 

12 heures et demie après que le départ ait été donné, je tiens Marianne dans mes bras à la ligne d’arrivée, la félicitant de son incroyable deuxième place. Il y a toujours du travail à faire avant qu’elle soit satisfaite de sa récupération, mais je sais que je viens d’être témoin du retour officiel d’une légende de l’ultra-trail.

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