Mots par Simon Ruel et Ilan Abikhzir
Artisan de nature
Des skateboards devenus canots, avec Andrew Szeto
« La nature est très importante puisque c’est là où on vit. La matière que j’utilise provient surtout du bois d’érable qu’on a plaqué et transformé en skateboards. Quand une planche est brisée, on me l’envoie. Je m’en sers pour faire du recyclage créatif, en la transformant en un produit qui retourne à la nature. »
Quelque part en pleine forêt vit un personnage original et créatif. Le cœur sur la main, un bonnet Smartwool sur la tête, il adore passer du temps en plein air et fabriquer des choses de ses mains. Mais détrompez-vous, ce n’est pas un reclus.
Il s’appelle Andrew Szeto, et il est surtout connu pour donner une nouvelle vie aux skateboards à travers son travail du bois original.
Au début de l’été, nous nous sommes rendus à Wakefield, un petit village au charme rustique près de la frontière ontarienne, pour visiter sa maison, son studio, et son magasin ouvert tout récemment, afin de découvrir la façon dont il crée ses pièces uniques.
Mais ce n’était pas notre seul objectif. Nous voulions bien sûr rencontrer l’artiste-skateboarder, mais aussi le upcycler, comme on dit chez ses voisins ontariens, avec l’espoir de découvrir comment la nature a eu autant d’influence sur son travail. Et d’en apprendre un truc ou deux sur la vie en plein air, au-delà de la simple performance sportive.
L’art à l’état naturel
Ce n’est pas un secret: passer du temps dehors, c’est bon pour le corps, l’âme et l’environnement. C’est pourquoi on doit se donner les moyens de continuer à profiter de nos forêts aussi longtemps que possible - en ce sens, la sensibilisation joue un rôle clé. Mais qu’en est-il si vous n’êtes pas un athlète à la recherche de votre meilleur temps ? Si vous voulez simplement vous retrouver parmi les arbres et travailler de vos dix doigts ?
Andrew Szeto a besoin d’être à l’extérieur pour être créatif. Bon, il faut dire que ses outils sont assez gros pour le justifier, mais c’est aussi parce qu’il a besoin de cette connexion avec la nature pour entrer dans sa zone.
« Passer du temps en forêt, à faire du canot ou à jouer au crible avec ma blonde: c’est ça que j’aime. Ça m’inspire vraiment. Mes animaux sont aussi une partie importante de ma vie, et simplement être capable de travailler dehors avec eux, c’est une grande joie. Et les skateboards, en réalité, dans tous les produits que je fais… ils viennent des arbres et de la nature. »
En gros, son modus operandi est de donner une nouvelle vie à des skateboards brisés, provenant de boutiques et de skateparks. De son propre sauna à une table de chevet au damier d’échec, on voit qu’Andrew incarne l’essence de la créativité : avoir le courage d’essayer quelque chose et de voir si ça fonctionne. Après tout, ajouter un truc à son répertoire en skate suit un processus similaire - essai après essai, blessure après blessure, jusqu’à ce qu’on retombe sur ses pieds.
« Comme je viens de l’univers du skate, ma vision de la vie est profondément créative. C’est un monde où on invente des trucs et où on essaie des choses sur différents obstacles que d’autres ne peuvent pas imaginer. Penser aux concepts les plus audacieux et en faire une réalité, c’est vraiment ce qui m’allume et me motive, c’est sûr. »
On sait qu’on est devant une création d’Andrew Szeto quand ce qui saute aux yeux sont les lignes colorées et les motifs psychédéliques qui font sa marque. Chacun de ces traits représente la planche de quelqu’un et renferme son histoire. Son premier kickflip. Son dernier ollie. À l’instar des cernes dans un tronc d’arbre qui marquent le passage des années, la somme de toutes ces lignes évoque l’image d'une communauté aussi profondément enracinée que diversifiée.
Pagayer (et vivre) à son rythme
L’artisanat n’est peut-être pas la principale occupation d’Andrew, mais c’est tout un passe-temps. On irait même jusqu’à dire un mode de vie, comme en témoignent sa maison et son studio. Partout autour de nous, c’est le chaos. Seule constante, les couches typiques de bois superposées sur différents objets : étagères, planches à découper, manches de couteaux, cadres de miroir, même sur des pressoirs à espresso et des planches de crible. Après avoir appris les rudiments du travail du bois, Andrew les a clairement appliqués à tous les objets de la maison un par un, en essayant de les reproduire avec des planches de skate.
Tout a commencé au Ottawa City Workshop, où il a rencontré son mentor Richard en 2017. Excentrique au cœur d’or, Richard a enseigné à Andrew tout ce qu’il sait. « C'était un homme formidable, et il m’a appris des tonnes de choses! J’avais les questions, il avait les réponses. C’était fantastique. » Ensemble, ils ont travaillé sur une variété de projets, allant du chalet à la charpente en A d’Andrew à des pagaies de canot - ces dernières ayant été mises à l’épreuve sur nombre de lacs ontariens.
Richard est décédé en 2021, mais Andrew garde le rythme aux machines, si bien que le bran de scie n’a jamais eu le temps de retomber.
« J’adore les meubles, et j’adore être dehors. Alors pagayer est une très grande source d’inspiration. Je fabrique régulièrement des pagaies ou des étagères en forme de canot, mais pouvoir aussi créer des choses qui correspondent à mon style de vie, comme ce que j’appelle l’art fonctionnel, ça compte énormément. »
Si l’art peut parfois révéler pratique, alors pourquoi ne pas se montrer pratique quand vient le temps de créer ? C’est une idée que Andrew a choisi d’adopter en décidant de réutiliser des skateboards brisés.
« Comprendre d’où viennent les matériaux qu’on utilise et approcher le processus avec respect, franchement, c’est voir se compléter un cycle. Et comme j’ai maintenant un magasin, je suis en mesure de décrire ce que je fais beaucoup mieux, et même discuter de la vie utile de mes produits. »
Andrew est visiblement très fier de Miam Miam, le magasin que sa conjointe Amber et lui ont ouvert seulement cinq semaines avant notre visite. Le processus est venu avec autant de défis que de récompenses pour le couple, à la fois sur le plan créatif et mental. À l’intérieur, un objet sur deux arbore le motif multicolore familier, qu’il s’agisse d’une énorme et extravagante chaise berçante à une table de présentation en métal finie à l'époxy.
La quête de toute vie d’artiste: trouver la liberté
Être en nature est très libérateur. On peut mettre sur pause son rythme urbain et prendre le temps d’écouter, de reconnecter, et de remettre les pieds sur terre. Et c’est précisément ce qu’Andrew aime faire: trouver dans la nature l’inspiration pour créer librement.
« Je crois que le but de mon travail est un peu de trouver la liberté. Je pense et je développe ces rêves à propos de drôles d’idées, jusqu’à les réaliser. Avoir la liberté de simplement pouvoir faire ça, c’est primordial. »
Afin de poursuivre cette « quête de liberté », il faut un moyen de transport, n’est-ce pas? Une merveille technologique qui se conduit toute seule à la vitesse de la lumière, peut-être? Pas vraiment. Pensez plutôt au canot, cet objet de bois humble dont la tradition se transmet de génération en génération, permettant de traverser de grandes distances en suivant le courant, pour ainsi dire. Le canot, c’est la métaphore parfaite pour l’état d’esprit d’Andrew : vif, débrouillard, et prêt pour à peu près tout ce qui se dresse sur son chemin. Accessoirement, c’est aussi son activité de prédilection pour relaxer et reconnecter avec la nature, bien confortable dans ses couches de base Smartwool.
« Quand on part en canot, le monde entier est… on a seulement une responsabilité. Il y a le travail, la vie, et il y a cette chose qu’on veut construire et on n’a aucune idée comment. Et une fois sur le bateau, c’est le calme. On profite de la nature et tout ralentit. Quand je vogue dans un bateau que j’ai construit, quand je pagaie avec une pagaie que j’ai fabriquée, et que j’ai la chance de simplement faire l’expérience de ce que j’ai créé - c’est tout ça qui fait que ça en vaut la peine. »
De façon générale, la vie d’Andrew est guidée par l’authenticité et la passion. Il est vraiment dans son élément, absorbé par son travail, soutenu par la nature, d’où il tient cette voix par laquelle il s’exprime - un rêve d’artiste. Mais ne lui dites pas qu’on a dit ça…
« Le plaisir joue un grand rôle dans mon équilibre. Sans le plaisir, pourquoi ferait-on quoi que ce soit? »