Traduction: Reilly Doucet
La vraie nature de l'inclusivité: Perspectives noires sur l’appel du plein air
Créativité, courage, et connaissances innées: la nature est à source de tout.
Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, Conversations Noires, en collaboration avec Never Was Average, présente une série de panels et conférences invitant des leaders et créateurs des communautés noires à discuter d’enjeux sociaux, thématiques variées, expériences vécues et visions de l’avenir. L’année 2023 avait pour thème l’imagination, et Altitude Sports a eu le privilège de présenter un panel sur la nature et la relation que nous entretenons avec elle.
La Nature ne juge pas.
Elle est belle et exigeante, invitante et capricieuse. Elle ne fait aucun cas de notre passé, de nos origines, de notre situation financière, ou de notre place dans la société. Elle est un endroit où la logique cède le pas à la créativité et à l’inspiration. Un safe space qui se trouve tout autour de nous. Trop souvent, on ne réalise pas ses bienfaits.
Et quand on vient de certaines communautés, parfois on n’y a carrément pas accès.
« S’intéresser aux activités de plein air, quand on est une femme Noire, ça prend du courage. On n’y voit pas beaucoup de monde qui nous ressemble, c’est très occidentalisé. » Alexe, fondatrice de la marque montréalaise de produits pour le corps naturels et bio Apprenti Ôr’ganik (voir notre superbe collab avec elle), puise ses racines à Montréal et à Haïti. C’est dans la nature qu’elle a trouvé sa voie, c’est ce qui inspire tout ce qu’elle fait. « Je me suis sentie acceptée par la nature avant de me sentir acceptée ailleurs. C’est l’espace qu’il me fallait pour créer mes produits, pour faire évoluer ma marque. »
En tant que personne issue de la communauté noire, Alexe n’est pas étrangère à un concept qui échappe à l’entendement: celui que les Noirs doivent travailler deux fois plus fort pour atteindre le même respect, la même reconnaissance que les Blancs. La nature, ils n’ont pas toujours le temps de s’en occuper. Ce concept n’est d’ailleurs pas une exception à la règle.
« Beaucoup d’entre-nous sommes arrivés ici via l’immigration, et nous avons atterris dans des quartiers défavorisés, où le béton est roi et les arbres, quasi inexistants. » Brahim Djiddah est originaire du Tchad. Fondateur de Sensory House et président d’Hydroflora, qui verse dans les technologies hydroponiques et les potagers urbains, il abonde dans le même sens. Si s’imprégner de nature n’est pas une priorité pour les nouveaux arrivants, qui doivent déjà composer avec le choc culture, c’est pourtant vital.
« Au début, je ne me voyais pas là non plus, indique Brahim. Mais de plus en plus, je m’y intéressais, et alors que je travaillais en finances, je suis allé suivre un cours dans le domaine. On me disait toujours la même chose: “tu as un bon emploi, qu’est-ce que tu fais à tout lâcher pour aller planter des arbres?” ajoute-t-il, un sourire en coin. »
Sa relation avec la nature fait désormais écho à celle d’Alexe. Chacun de nous avons une tendance innée à se retrouver en forêt, en montagne, en bord de mer. Il s’agit ni plus ni moins de nos origines, avant que la modernité ne nous fasse oublier notre connexion directe avec le plein air. Il s’agit d’une source inépuisable de créativité, et tout le monde, absolument tout le monde, doit pouvoir en profiter. Finie, l’époque où la nature et les activités de plein air étaient réservées à une soi-disant élite. Pas besoin d’un équipement high-tech: on enfile de bons souliers de marche, et on y va.
La nature dépasse toutefois le cadre de la simple créativité. Nadia Bunyan, fondatrice de l’organisation à but non lucratif Growing Arc et designer de mode qui s’inspire du lien entre l’agriculture et les vêtements, est catégorique. « Mes origines caribéennes font en sorte que je ne connais que trop bien les conséquences du colonialisme - ce qui me permet de comprendre, dans une certaine mesure, la réalité des Premières Nations du Québec, surtout lorsque vient le temps d’établir une connexion avec le territoire qui nous entoure. Nous avons souffert - nous en souffrons encore - , et il faut se poser la question suivante: qu’est-ce que ça implique d’être une créatrice sur un territoire non cédé? » Impossible pour elle (et Alexe et Brahim) de ne pas sentir le devoir d’en apprendre plus sur ceux et celles qui habitaient le pays bien avant la colonisation.
Ça implique des conversations difficiles, et ça implique un désir de créer des communautés locales inclusives. D’ailleurs, prendre soin de nos communautés locales nous permet de prendre soin de celles qui se situent au-delà des mers, et qui nous semblent pourtant si loin.
Il suffit de changer ses habitudes, et c’est tout simple. Pour Nadia, par exemple, « le simple fait d’acheter local permet non seulement d’encourager les producteurs locaux, mais ça permet aux communautés autrement pillées par les pays occidentaux d’utiliser leurs propres ressources, sans devoir tout exporter ici. »
C’est ce désir de communauté que la nature évoque en nous. C’est ce désir de créer des espaces communs où chacun a sa place. Des espaces créatifs qui laissent libre court à l’imagination. C’est de la nature que viennent les plus belles idées, et les graines du changement.
Alors non, la Nature ne juge pas.
La nature humaine, celle qui au contraire possède de petites dispositions au jugement facile, se cultive, elle aussi. Elle s’éduque. Et dans un environnement où toutes les communautés ont leur place, elle jette les bases d’une révolution.