Dans la brume naissante de l’aube, nous prenons la route sineuse qui mène à Naktapor, en espérant apercevoir les premiers rayons du soleil, pour l’instant caché derrière les montagnes. Dehors, l’air est pur, et le brouillard qui se dissipe enfin révèle en contrebas une vallées aux mille couleurs. Dans le ciel matinal, la chaîne de l’Himalaya se dévoile sous nos yeux. Et là-bas, plus loin encore vers l’est, les sommets recouverts de neiges éternelles émergent au milieu des nuages.
L’Himalaya, berceau de l’Everest, est un lieu de pèlerinage quasi mythique pour les alpinistes depuis plus d’un siècle. Plusieurs légendes y ont perdu la vie, en tentant parfois en vain de gravir ses sommets glacés. Là-bas, sur les flancs escarpés des montagnes résonne un nom que les alpinistes murmurent avec admiration—Sherpa. Ce nom, commun à ce peuple indigène de l’est du Népal, est également le nom des fameux guides de montagne et héros de l’Everest trop souvent oubliés des livres d’histoire. Le monde entier connaît pourtant les sherpas comme ces guides quasi infaillibles de l’Himalaya, menant les expéditions en haute altitude, naviguant vallées enneigées et étroites corniches pour ouvrir le chemin aux alpinistes.
En mars dernier, Altitude Sports s’est rendue aux confins de l’Asie du Sud afin de rencontrer l’équipe derrière Sherpa Adventure Gear, la compagnie népalaise qui célèbre les héros méconnus de l’Everest, redonne à sa communauté et vise à créer un monde meilleur pour tous les habitants du Népal.
Notre résidence pour la semaine est un confortable petit bed & breakfast situé au même endroit que le siège social, le studio et la boutique principale de Sherpa Adventure Gear au Népal. C’est ici, au petit matin, que nous accueille Mingma Sherpa. Ambassadeur chez Sherpa Adventure Gear et propriétaire de l’un des magasins de la marque au Népal, Mingma est notre guide pour cette expédition, et il partage avec nous l’histoire millénaire de Katmandou alors que l’on déambule à travers les étroites ruelles et le remue-ménage des marchés de la ville.
Nos premières journées sont passées à explorer la ville et ses environs, du quartier touristique de Thamel jusqu’à la périphérie de Katmandou et le stupa Swayambhunath. Aussi connu sous le nom de Temple des Singes, il doit son nom à la multitude de petits singes qui vivent dans les environs du temple. Singes qui nous laissent heureusement en paix lorsque nous montons les marches du temple. Au sommet: une vue imprenable sur la vallée de Katmandou.
En ville, le Festival Holi bat son plein. Fêtée en Inde, dans plusieurs pays de tradition hindoue en Asie et à travers le monde, cette célébration commémore l’arrivée du printemps. On navigue en pousse-pousse les rues de Katmandou en direction de la place du Darbâr, là où se déroulent les festivités. Recouverts de la tête aux pieds de poudre de toutes les couleurs, des « Happy Holi » retentissant dans nos oreilles, on réussit à se mêler à la foule et à profiter de la vue à partir d’une terrasse en hauteur.
Après une poignée de jours à peine passés dans la capitale népalaise, une chose nous saute aux yeux: Katmandou est une véritable palette de couleurs. Des représentations sur les murs des temples bouddhistes aux bâtiments multicolores du centre-ville, en passant par les visages colorés des participants au fameux Festival des couleurs, se fondre dans la masse et plonger dans l’agitation de Katmandou devient une seconde nature.
Alors qu’il nous guide à travers le labyrinthe d’effervescence que sont les ruelles animées de Katmandou, Mingma nous raconte l’importance des drapeaux de prières que l’on aperçoit partout dans la ville. Indissociables de la culture népalaise et des traditions bouddhistes, ces drapeaux colorés représentent les cinq éléments—le bleu pour l’eau, le jaune pour la terre, le vert pour le métal, le rouge pour le feu et le blanc pour les nuages. On dit que les drapeaux flottant au vents aident à disperser des messages de paix, de sagesse et de joie aux alentours.
Résolument moderne, Sherpa Adventure Gear reste profondément marquée par ses racines ancestrales. Celles-ci inspirent d’ailleurs ses designs, tout droit tirés d’un passé révolu, où l’on voit les drapeaux de prières et le noeud sans fin de la tradition bouddhiste. Puisant son expertise dans une manufacture locale où plusieurs femmes fabriquent les chapeaux de la marque, Sherpa Adventure Gear s’intéresse tout aussi bien à ce que vous pouvez faire avec ses vêtements qu’à l’origine de ceux-ci.
Dans le même immeuble que notre bed & breakfast se trouve donc le siège social de Sherpa et son studio de production, où nous rencontrons Tsering Sherpa, le fils du fondateur Tashi Sherpa. Après une enfance passée à Seattle, où se trouvait auparavant le siège social, il est revenu au Népal pour y vivre avec sa femme, Tenzil Dhasel. Le couple supervise les opérations de A à Z, incluant les usines de productions de Sherpa au Népal et en Inde.
Directeur de la technologie chez Sherpa, Ram Kumar travaille avec Tashi dans l’industrie du textile depuis plus de 35 ans, bien avant la fondation de Sherpa en 2003. C’est lui qui est en charge du design et des motifs des vêtements Sherpa avant même l’étape des protoypes. Les motifs sont créés à la main, et Sherpa s’assure de travailler avec les plus récentes technologies de l’industrie afin de leur donner vie.
Si les machines les plus récentes peuvent assurer une qualité optimale, elles ne peuvent empêcher le surplus de tissu inutilisé. Avoir le studio de design juste à côté de la boutique principale a cependant ses avantages, et permet par exemple d’utiliser ce surplus de tissu pour créer des vêtements en quantité limitée, exclusifs à la boutique. Ainsi, Sherpa peut lancer des produits spécifiques à son marché local, comme ses fameux chouchous pour les cheveux (appelés Puna, qui signifie « encore » en sanskrit). Les résidus de tissu trop petits pour être réutilisés sont donnés à Khaalisisi, qui collecte et recycle les tissus et matériaux non utilisés.
Si la visite du studio nous permet d’apprécier la production locale, la rencontre avec Subrat Dhittal nous donne un aperçu de la production à grande échelle de Sherpa. Chef du studio et partenaire de Tashi depuis plus de 30 ans, il explique comment le studio se sert d’outils technologiques afin d’imprimer par sublimation les motifs sur le tissu, ce qui assure un maximum de détails et empêche le motif de peler au lavage.
Avant de se rendre à l’usine de tricot de Sherpa, nous passons la matinée dehors, à explorer les merveilles de Bhaktapur, ville située dans l’est de Katmandou. Nombreux sont les artisans au détour des ruelles, qui s’affairent à peindre des toiles finement décorées d’icônes de la tradition bouddhiste. Un représentant de Sherpa vient finalement nous rejoindre, et nous nous rendons à l’usine de tricot.
Celle-ci, appelée la women’s knitting factory, fait partie de la vision de Sherpa depuis les tout débuts. Ce programme offre un emploi stable à des femmes népalaises, qui à leur tour conçoivent tous les chapeaux en laine de l’entreprise. C’est environ 25 femmes qui travaillent à l’usine à temps plein.
Rita travaille à l’usine depuis 12 ans. Véritable couturière dans l’âme, elle passe une bonne partie de son temps libre à coudre et à tricoter. Avant d’y être embauchée, elle venait régulièrement à l’usine se procurer de la laine. Voyant une opportunité de mettre ses talents à profit et de gagner un revenu supplémentaire pour sa famille, elle commence à travailler à l’usine. Aujourd’hui, avec le reste des femmes qui travaillent avec elle, elle tricote environ 5 chapeaux tous les jours. Les femmes peuvent travailler à leur rythme. Si la demande augmente trop rapidement, Sherpa est prête à embaucher jusqu’à 300 travailleurs indépendants. Et même si elles ont la possibilité de travailler de la maison, la plupart des couturières choisissent quand même de venir à l’usine.
La voiture navigue avec aisance les rues animées de Katmandou. Le chaos qui règne à travers la métropole ne semble aucunement déranger Mingma, qui nous raconte l’importance de la Sherpa’s Scholarship. Chaque produit vendu par Sherpa offre une journée d’école à un enfant, et donne ainsi la chance à plusieurs enfants des environs de fréquenter un pensionnat de Katmandou.
Mingma et sa femme Yangji travaillent directement avec les enfants depuis les débuts du programme. Il est originaire d’un petit village montagnard, Namche Bazaar, dans le district de Solukhumbu. Méconnu, ce hameau se situe pourtant au pied de la plus célèbre montagne au monde: l’Everest. Il s’agit également de la région d’origine des enfants qui participent au programme de la Sherpa’s Scholarship. Comme Mingma et Tashi, ces enfants portent le nom de famille Sherpa, commun à ce peuple indigène de l’est du Népal, où est situé le district de Solukhumbu. Le programme a commencé avec à peine une poignée d’élèves, et ils sont maintenant presque une douzaine, âgés entre 5 et 15 ans.
Nous arrivons à l’école tout juste avant l’heure du lunch. Les élèves, portant fièrement leur bel uniforme rouge, nous accueillent et nous entraînent vers la bibliothèque, où ils nous expliquent le programme, ses avantages, et ce qu’ils pensent faire à la sortie du pensionnat. Pour les plus jeunes, comme Dawa, la question ne se pose pas encore, mais pour certains des plus vieux comme Jigmey, qui participe au programme depuis le début, le moment est venu de se préparer à la prochaine étape, où il compte étudier l’informatique.
Les enfants nous parlent de leurs cours, groupes de musiques et athlètes préférés, ce qui donne l’occasion à tout le monde de surmonter sa timidité et d’échanger avec nous. Ils suggèrent ensuite une visite de l’école, et nous montrent où les cours se tiennent.
Alors qu’on arrive aux dortoirs, les enfants nous racontent une journée typique au pensionnat. Une journée ordinaire commence à 5h du matin et se poursuit jusqu’à 17h, avec quelques pauses et sessions d’études à travers la journée. Les enfants passent tout leur temps ici, le pensionnat faisant office de maison pendant leur séjour. Plusieurs fois par année, Mingma organise un voyage dans les villages des montagnes, ce qui permet aux enfants de rentrer chez eux et de revoir leurs familles.
Nous finissons notre visite au moment même où la cloche sonne, indiquant la récréation. Alors que nos nouveaux amis se précipitent vers leurs camarades et vers le terrain de jeu avant le début des classes de l’après-midi, nous remontons dans la voiture pour continuer la journée. La voiture s’éloigne lentement alors que résonnent les rires des enfants au milieu de l’une des phrases qu’ils nous ont appris: feri bettum la. Jusqu’à la prochaine fois.
Le Népal recèle des merveilles architecturales. Situé en bordure de la Vallée de Katmandou, le stupa Boudhanath a donné naissance à bon nombre de légendes dans le folklore local. Un mythe tibétain indique qu’au 14e siècle, une éleveuse de buffles souhaitait faire construire un stupa (un sanctuaire dédié à la méditation), mais qu’elle ne possédait pas suffisamment de terres. Le roi lui proposa un marché: si elle lui apportait une peau de buffle, elle pouvait faire bâtir un stupa de la même grandeur que celle-ci. L’éleveuse, souhaitant obtenir la plus longue peau possible, coupa celle-ci sur la longueur jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une corde, beaucoup plus longue que l’original. Et c’est ainsi que le stupa Boudhanath est aujourd’hui l’un des plus grands au monde.
Après des débuts modestes, Sherpa Adventure Gear est aujourd’hui bien implantée sur la scène mondiale. Tashi, le fondateur, a vu tout le potentiel de la compagnie à voir plus loin que les simples vêtements. À travers le fond de Sherpa Adventure Gear, plusieurs étudiants ont la chance de fréquenter l’école et de recevoir une éducation de qualité. En misant sur la Women’s Knitting Factory, l’entreprise peut concevoir ses vêtements tout en aidant des femmes locales à subvenir aux besoins de leur famille.
Fidèle aux traditions, Sherpa oeuvre dans le respect de l’environnement, par exemple en s’assurant que les résidus de tissu non utilisés peuvent trouver une seconde vie. Ce n’est pas une coïncidence si son logo, le noeud sans fin, représente la réincarnation dans la tradition bouddhiste. Inspirée par le passé, le présent et le futur, Sherpa est déterminée à asseoir sa position dans le monde du plein air, et à continuer de faire partie intégrante des communautés népalaises, dans les montagnes environnant Katmandou.