« Si on est ici, c’est parce qu’on est tous un peu fous! » commente Sylvia Forest, l’une des guides du General Mountaineering Camp (GMC) du Club alpin du Canada. Une façon appropriée de décrire tous ceux qui trouvent amusant de se balancer dans le vide ou de sauter par-dessus d’étroites crevasses. Pourtant, les alpinistes font de ce genre d’activités leur pain quotidien.
L’alpinisme – ou l’ascension en haute montagne – est une pratique sportive reposant sur plusieurs disciplines, comme la randonnée glaciaire, l’escalade rocheuse ou l’escalade de glace. J’ai déjà eu l’occasion d’essayer la plupart de ces activités, mais je n’avais encore jamais eu la possibilité de les combiner. Quand Mountain Hardwear a lancé son invitation pour le GMC 2019, je n’ai pas hésité.
Jour 1. J’avale mon déjeuner en deux bouchées et je saute dans la navette qui nous emmène le long d’une route sinueuse. Les participants discutent entre eux, en échangeant sur les conditions du terrain, leurs objectifs respectifs et l’équipement qu’ils traînent avec eux. Certains – comme moi – en sont à leur première expérience au GMC. D’autres viennent tous les ans. Nous arrivons à la zone de rassemblement, où un hélicoptère doit nous emmener jusqu’à la Battle Range, située dans les Selkirk Mountains. Nommée en l’honneur d’une bataille notoire entre un chercheur d’or et un grizzly, cette chaîne de montagnes est parsemée de glaciers. Un rêve pour les alpinistes.
La pluie qui tombe sans relâche sur le toit de la van refroidit l’enthousiasme général. En regardant les épais nuages par la fenêtre, je ne peux m’empêcher de me demander si notre vol aura bien lieu. Notre groupe de 45 personnes est le premier de la saison, et nous devrons endurer une météo incertaine. En sortant finalement de la voiture, nous nous dépêchons de prendre nos bagages et de nous séparer en petits groupes pour monter dans l’hélico.
À part les guides qui sont venus monter le camp la semaine dernière, personne ici n’avait encore jamais mis les pieds dans la Battle Range. Le GMC change d’endroit tous les ans, depuis sa fondation en 1906. Chaque année, un comité sélectionne un nouveau site, qui offre des défis et des opportunités différentes aux participants. Il se concentre sur les endroits qui leur permettront d’établir des objectifs d’alpinisme variés, et sur les endroits propices à l’escalade ou à la randonnée glaciaire. Cette année, il aura fallu 18 dépôts d’équipement, une équipe de 9 personnes et une semaine entière afin de monter le camp pour la saison. « Ils ont eu environ 10 minutes de beau temps! » me raconte avec un sourire l’un des responsables du camp. Heureusement pour nous, les nuages au-dessus de nos têtes commencent à se dissiper. Groupe par groupe, nous prenons place à bord des hélicos
En haute altitude
Nous nous élevons au-dessus des arbres. J’aperçois le camp, situé sur une vaste moraine parsemée d’arbustes vert tendre. Les tentes sont séparées par un ruisseau à l’eau claire, que l’on enjambe en sautant sur quelques pierres. La tente principale, la cuisine, les douches, la tente pour le thé et celle pour faire sécher son stock sont toutes situées sur la rive nord du ruisseau. Les tentes colorées des participants, au sud.
Bagages à la main, je me dirige vers celles-ci. Je suis surpris de voir à peu près toutes les générations de la tente Trango 4 de Mountain Hardwear. Si certaines tentes sont manifestement neuves, d’autres semblent avoir plus d’une décennie à leur actif, et elles sont toujours en excellent état. Les tentes restent installées toute la saison pour accueillir les participants.
Pendant mon court passage au GMC, les jours se suivent mais ne se ressemblent guère. Neige, grêle, vent puis chaleur intense… Dans ces conditions extrêmes, on ne plaisante pas avec la qualité de l’équipement. Mountain Hardwear est un sponsor de longue date du GMC, et l’équipement prêté par la marque permet aux participants, novices comme vétérans, de profiter des joies de l’alpinisme.
Après un repas copieux, le directeur du camp nous donne un aperçu de la manière dont les choses vont fonctionner. Au matin, un klaxon annonce le déjeuner, après quoi les participants sont libres de partir compléter leurs objectifs. En soirée, de nouveaux objectifs sont affichés dans l’une des tentes communes.
C’est le Climbing Committee qui détermine les objectifs, en se basant sur les conditions, le nombre de guides présents et les demandes spéciales. En me disant que je pourrais très bien bénéficier de leçons supplémentaires, je m’inscris à l’école de glace. Après une brève partie de cartes avec d’autres participants, je me retire pour la nuit, en espérant que les conditions soient réunies le lendemain pour une journée en haute altitude.
Le glacier
Au matin, mon groupe part en randonnée au pied du glacier Wrong, où Brett et Cam – deux guides chevronnés – nous attendent pour nous expliquer comment nous aventurer sécuritairement sur la glace. Nous commençons par la base (les propriétés d’un glacier, le cramponnage et comment éviter les crevasses) et nous continuons avec l’utilisation des piolets, les glissades sur glace et les chutes contrôlées. Derrière Brett se trouve Ruari, un apprenti-guide. Apprenti en théorie seulement, puisque Ruari cumule plusieurs années d’expérience en tant que guide de ski et d’escalade. Le GMC de cette année n’est qu’une étape de plus dans son parcours pour devenir un guide certifié par l’Association canadienne des guides de montagne.
Alors que nous terminons notre apprentissage de la glissade sur glace, pratique qui consiste à se jeter en bas de la colline en utilisant des piolets pour se ralentir, de gros nuages noirs se forment en haut de la crête. Nous reprenons le chemin du camp, mais notre leçon ne se termine pas là.
Dans l’une des tentes, nos guides nous expliquent les bases du sauvetage en crevasse. Ils doivent faire appel à toute leur expertise afin de répondre aux questions délicates posées par les participants. Moins d’une heure plus tard, la tente est remplie de cordes et d’équipement destinés à illustrer les diverses méthodes de sauvetage. En sortant de la tente, inutile de dire que je me sens un peu submergé par toutes ces informations. Je lève les yeux vers les montagnes. Avec tous les guides et participants présents, nous devrions être capables de faire face à Dame Nature.
La routine s’installe rapidement. Tous les matins, on enfile notre équipement et on quitte la vallée avec nos groupes respectifs. Et tous les soirs, on écoute les récits des autres participants, qui racontent parfois des aventures rocambolesques. Des doigts cassés, des chutes d’eau vertigineuses, l’atteinte d’un sommet qu’on avait cru impossible, une météo capricieuse ou encore un carcajou qui déambule tout près… On en voit de toutes les couleurs.
Les dangers du mont Goodrich
Quatre routes principales se sont dessinées au fil de la semaine. Celle du nord-ouest donne accès au mont Vistamount et au glacier Wrong. Au sud, on trouve les monts Ledge et Thumb Spire. Mon préféré? Le mont Goodrich, accessible via le glacier Wrong. Crampons, guêtres, piolets, harnais et bien plus sont requis pour y arriver.
Une journée est nécessaire pour l’ascension du mont Goodrich, et nous sommes encordés pendant toute la durée de l’aventure. Plus hasardeuse que celle qui conduit au mont Ledge, la route serpente à travers le col pour atteindre un ombilic glaciaire. La météo est clémente, mais les nuages qui s’amoncellent derrière la crête font rapidement baisser le mercure.
Quitter le glacier pour la roche de la montagne est une étape délicate. Une étroite corniche se découpe au-dessus de nos têtes. À nos pieds, une large crevasse semble prête à nous engloutir au moindre faux pas. Nos leçons des premiers jours prennent ici tout leur sens. Nous nous déplaçons prudemment le long des obstacles pour atteindre le sommet du mont Hanover. Puis, à l’ouest, se dresse l’imposante silhouette du mont Goodrich.
L’ascension du mont Goodrich ne nécessite pas d’escalade technique, mais la paroi est particulièrement exposée. Nos guides choisissent de nous encorder court et tendu afin d’atteindre le sommet, en utilisant les roches pour faire passer notre corde et nous assurer un maximum de protection. Je ne peux m’empêcher de baisser les yeux vers la centaine de mètres qui nous séparent du lac en contrebas. Une seule erreur pourrait facilement nous coûter la vie. Heureusement, on parvient tous au sommet, sains et saufs.
Le GMC – un siècle d’aventures
Ce soir-là, on nous distribue des épinglettes qui commémorent nos réussites. Pendant la semaine passée au camp Battle Range, j’ai réussi à atteindre sept sommets, ce qui me vaut une médaille de bronze. L’un des participants célèbre son 104e sommet avec le GMC. Une fraction seulement de tout ce qu’il a accompli durant sa carrière.
Les guides profitent de la fête d’adieu pour raconter les débuts du GMC. Les choses ont bien changé depuis sa fondation il y a plus d’un siècle. L’équipement est plus spécialisé, et l’alpinisme gagne en popularité. Malgré tout, l’esprit de camaraderie qui animait le camp à ses débuts perdure. Le GMC existe pour permettre aux athlètes comme aux amateurs de perfectionner leurs techniques et d’explorer les splendeurs naturelles de l’arrière-pays canadien. Ici, quelque part entre glaciers et montagnes, se trouve un véritable paradis alpin.
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